Lavoix grave du père des jumeaux entonna le poème du barde SQUINOLAS le sage quiallait permettre à l’Arc des Sanglots de remonter du fond des océans :
Marin tu étais
Et l’océan t’appelait
Sur ton bateau tu voguais
Au mépris de tout danger
Jamais n’aurais du aller
Si près des sirènes naviguer
Car à leur chant tu n’as résisté.
Tu es née chair mais aussi écailles
Pour ton chant moult batailles
Se livrent sans cesse
T’accompagnent Mort et Tristesse
Nul sentiment ne s’immisce
Car vide est ton cœur tel l’abysse
Quiconque aurait la folie d’écouter tonchant
Passerait de vie à trépas assurément.
Vous vous êtes rencontrés
Et immédiatement l’amour est né.
Les Dieux furent contrariés
Et la malédiction fut jetée.
Sous les yeux horrifiés de ton aimée
Sans qu’elle puisse te secourir, tu t’esnoyé.
Torrent de larmes et cris de désespoir.
Un arc baigné de larmes fut créé en cesoir.
Ton aimé menacé par un ennemi
Par l’amour intense ressenti
Une flèche passionnée
Tu pourras décocher.
Aufur et à mesure de l’incantation, les ondulations de la lumière émeraude sefaisaient de plus en plus houleuses, les nuances de la couleur allaient de laplus foncée à la plus claire, et quand le dernier mot fut prononcé, le longsanglot de détresse qui s’échappa du puits tira les larmes de leurs yeux.
Ilstombèrent à genou, et sous nos yeux éberlués, un arc d’une beauté à couper lesouffle s’éleva dans les airs, stagna un moment, puis vint se positionner avecune grâce infinie devant Hinge.
Taillédans du chêne, ciselé artistiquement de dizaines de petits motifs marinsentrelacés de vagues, une tendre sensualité se dégageait de ses courbes. Lablondeur dorée de la corde tressée luisait dans la semi-pénombre qui régnaitdepuis que le bassin était redevenu calme. Il semblait vivant, palpitant aurythme d’un cœur passionnément amoureux.
Lawalkyrie tendit la main très lentement, mue par le profond respect qu’elleressentait devant cet objet unique façonné avec patience et désespoir.Doucement, elle le prit, puis en caressa le bois et la corde en les effleurantdu bout des doigts. Un sourire d’enfant émerveillé s’épanouit sur ses lèvres.Elle le glissa sur son épaule, où il s’installa de lui-même confortablementcomme si sa place était là et nulle part ailleurs.
Laguerrière releva la tête et s’approcha du trou semblant chercher quelque chose.
-Quecherches-tu Hinge ? lui demanda Brunhilde.
-Lecarquois et les flèches, mère.
-N’as-tupas compris les derniers vers du poème ? Je crois qu’il n’y en a pas.Lorsque celui pour lequel ton cœur bat sera en danger, il te suffira de banderl’arc, de viser l’ennemi et la flèche apparaitra. Lorsque tu la lanceras, elle atteindraimmanquablement son but.
Embarrassépar ces détails, Ingmar regarda sa demi-sœur. Il comprenait à présentl’obstination d’Hinge à vouloir garder le chevalier pour elle, et pourquoi elleavait ainsi lutté contre sa propre sœur. Mais le destin de chacun était tracé.
Leursregards se croisèrent et se comprirent. Les yeux de la guerrière quémandant silenceet discrétion furent lus et d’un hochement de tête un acquiescement réconfortason âme.
L’expressionde Brunhilde qui venait de réaliser ce qui attendait sa fille était beaucoupplus sombre. Elle craignait que celle-ci ne revienne pas de ce long voyage.
L’arcdes Sanglots protègerait l’élu de son cœur, mais elle qui veillerait sur sesarrières ?
Lechevalier était loin d’être le guerrier aux compétences requises pour une telletâche et ce n’était pas les armes qui venaient de se mettre à sa dispositionqui l’aideraient suffisamment. Certes, en acquérant la mémoire de l’essence deséléments, aurait-il accès à un savoir venu du fonds des âges, mais celasuffirait-il à lui ramener Hinge en vie ?
Brunhildeavait étudié dans la bibliothèque de la Tour Runique les anciens écritsdécrivant les voyages précédant pour ramener le voile de Nerthus, mais jamaispersonne n’était allé jusqu’au lac de Jutland. A chaque moment des dangers detoutes sortes surgissaient. Certains restaient de véritables inconnues, aucunsurvivant n’ayant pu en rapporter la moindre description.
Alorsle chevalier même avec une walkyrie comme Hinge qui égalait presque la plusgrande d’entre elles, Freya, leur Reine, n’avait que peu de chance d’yparvenir. Mais les Dieux avaient fait leur choix et le destin étaittracé !